Le requin bouledogue

Le requin bouledogue – Carcharhinus leucas.

Le requin bouledogue, ce nom est sur toutes les lèvres de l’ouest de l’océan Indien, particulièrement sur l’île de la Réunion où il a énormément fait parler de lui. De tragiques accidents ont eu lieu entre 2011 et 2013 et on ne parle plus que de lui depuis cet épisode. Mais qu’en est t’il vraiment de cet animal, que savons nous de lui ? Les scientifiques de la Réunion tentent de comprendre le comportement local des populations de cette espèce à travers différents programmes. On se rend compte que sur le plan scientifique, la connaissance de l’animal est très incomplète. Cette synthèse, non exhaustive, élaborée à l’aide de publications et d’ouvrages scientifiques va vous en apprendre un peu plus sur ce requin. Nous essayerons de la compléter d’une synthèse ultérieure, cette fois résumant les savoirs empiriques récoltés sur ce requin.

Généralités

Le requin bouledogue Carcharhinus leucas (Müller et Henle, 1839) est une espèce cosmopolite qui peut atteindre 4 mètres à l’âge adulte (Werry et al. 2012). Il fait partie de la famille des Carcharhinidae (requins requiem). Il se caractérise par un nez court et un corps massif. On le retrouve dans tous les océans de la planète, principalement au niveau des zones côtières (Werry 2010).

Le requin bouledogue, malgré sa large répartition mondiale est considéré comme « Proche de la menace » par la liste rouge de l’UICN (Union International pour la Conservation de la Nature) du fait des impacts anthropiques tels que la pêche (captures intentionnelles et accidentelle) et la modification de ses habitats (urbanisation du littoral par exemple; Werry et al. 2012 ; Camhi et al. 2009). Sa stratégie de reproduction ne lui permet pas de soutenir une pêche trop intense. Cette espèce a une maturité tardive, une croissance longue, une longue espérance de vie et des portées de petites tailles. Ainsi, chez le requin bouledogue, la maturité sexuelle est atteinte aux environs de 6 à 8 ans (environ 2 mètres chez les femelles) et les portées sont de 1 à 13 nouveaux nés après une gestation de 10 à 11 mois (Werry, 2010). Ce type de reproduction les rend donc sensibles aux menaces d’origine humaine même si le requin bouledogue est très rarement une espèce ciblée par les pêcheries (Camhi et al. 2009).

Le requin bouledogue a un régime alimentaire très varié. Dans les contenus stomacaux des adultes on peut parfois trouver des crabes, des céphalopodes (calmars et poulpes), d’autres requins, des raies, tortues, mammifères marins (phoques, lions de mer, dauphins), carangues, etc. (Werry 2010). Le requin bouledogue est également un charognard, notamment de carcasses de mammifères marins comme les grandes baleines.

Comportement

Le requin bouledogue est une espèce aux caractéristiques uniques.  Il a notamment la particularité de pouvoir évoluer à la fois dans des eaux salées, saumâtres et douces. Il est donc capable de supporter d’importante variation de salinité (Werry et al. 2012, Werry 2010, Camhi et al. 2009). L’augmentation de la présence de bouledogue après des épisodes pluvieux a été démontrée par Werry, 2010. L’apport d’eau douce, chargé en nutriments, semble donc attirer les requins de cette espèce. C. leucas affectionne les eaux saumâtres (mi salée – mi douce) qui riment bien souvent avec turbidité (mais pas systématiquement).

On a retrouvé des individus dans l’Amazone à 4200 km en amont de son embouchure et dans le Mississipi à 2800 km de l’océan (Werry, 2010). L’habitat des nouveaux nés et juvéniles se situe dans des zones faiblement salées des rivières et des estuaires. Les adultes et les individus immatures sont principalement rencontrés dans les zones côtières. Les femelles retourneront dans les rivières et estuaires afin de donner naissance (Werry et al. 2012 ; Werry 2010).
Le phénomène de philopatrie a été observé chez des femelles bouledogues dans le nord de l’Australie grâce dans le cadre d’une étude intégrant de la génétique (Tillett et al. 2012) Il est possible d’émettre l’hypothèse que cela pourrait être pareil sur d’autres régions comme la Réunion, s’il est démontré que ce soit une caractéristique de l’espèce. Cela devra être confirmé par les études en cours.
Du fait de son habitat très côtier, le requin bouledogue est tout particulièrement exposé aux activités humaines, notamment la dégradation des habitats par la pollution.

Sur un aspect moins naturel mais relevant tout de même du comportement, une étude récente a montré que les requins bouledogues présentaient des fidélités à des sites de nourrissage (communément appelé « shark feeding »). C’est notamment le cas aux Fidji. Cette activité, destinée à concentrer des requins pour faciliter leur observation, a tendance à fixer un grand nombre d’individus, même en l’absence de nourrissage. On peut donc supposer que cette espèce possède une mémoire et que le nourrissage peut modifier son comportement de manière importante. La présence des requins bouledogues aux Fidji décroit aux alentours de août à décembre, ce qui correspondrait à la période de reproduction (Brunnschweiler and Baensch, 2011 ; Brunnschweiler and Barnett 2013).

 

Rapport avec l’Homme

Les rapports entre l’Homme et le requin bouledogue sont relativement fréquents. Ceci est principalement dû au fait que nous partageons avec cette espèce les zones côtières, notamment pour nos activités de pêche et touristiques. Ce requin est occasionnellement capturé et lorsque c’est le cas, il arrive que sa chair soit consommée. Il faut alors être prudent car la chair des grands animaux marins que sont les requins peut être porteuse de toxines. Comme pour beaucoup d’espèces marines (principalement côtières) dans les régions tropicales, la Ciguatera (algue microscopique toxique qui se retrouve dans la chair des animaux marins) peux contaminer la chair des requins bouledogues. Cependant, concernant les requins, elle n’est pas la seule toxine qui peut être dangereuse pour l’Homme. En effet, il existe également des toxines appelées Carchatoxines qui peuvent entrainer des intoxications alimentaires. C’est le cas d’un petit village de Mada C’est le cas d’un petit village de Madagascar où 200 personnes ont été contaminées en 1994, dont 180 hospitalisées. Le taux de mortalité sur cet incident était de 30%. Il ne s’agissait cependant que d’un seul requin bouledogue (Boisier et al. 1995) et peu de cas aussi graves se sont produits. D’autres contaminants tels que les métaux tracés peuvent rendre la consommation de la chair risquée.

Les requins bouledogues fréquentent les eaux très côtières, où se développement nos activités touristiques et récréatives. Les rencontres avec cette espèce sont rares de manière générale mais lorsque celle-ci se produisent, elles sont généralement impressionnantes et dramatiques comme dans le cas des attaques à l’île de la Réunion.

Le programme CHARC a établi des premières conclusions sur les déplacements des populations de requins bouledogues à La Réunion. La première étant que les individus ne restent pas constamment sur la même zone, mais occupent les mêmes de manière régulière, à quelques exceptions (une femme est par exemple en occupation quasiment permanente d’un site). Certains parcourent toute la façade ouest de l’île et d’autres explorent l’ensemble du pourtour de l’île. Un individu sur la quarantaine marquée a également effectué des mouvements à environ 200 kilomètres au large de l’île. Leur habitat proche de la côte (barrière récifal)  n’est pas systématique mais régulière et se situe en général entre 15 et 17 heures ou durant la nuit. Enfin, on les retrouve plus fréquemment durant l’hiver et en nombre plus important.

Bibliographie

Boisier P., Ranaivoson G., Rasolofonirina N., Andriamahefazafy B., Roux J., Chanteau S., Satake M., Yasumoto T., 1995. Fatal mass poisoning in Madagascar following ingestion of a shark (Carcharhinus leucas) : clinical and epidemiological aspects and isolation of toxins, Toxicon, 33, 1359-1364 p.

Brunnschweiler J.M., Barnett A., 2013. Opportunistic Visitors: Long-Term Behavioural Response of Bull Sharks to Food Provisioning in Fiji. PLoS ONE, 8, 3, 15 p.

Brunnschweiler J.M., Baensch H., 2011. Seasonal and Long-Term Changes in Relative Abundance of Bull Sharks from a Tourist Shark Feeding Site in Fiji. PLoS ONE, 6, 1, 5 p.

Camhi M.D., Valenti S.V., Fordham S.V., Fowler S.L., Gibson C., 2009. The Conservation Status of Pelagic Sharks and Rays: Report of the IUCN Shark Specialist Group Pelagic Shark Red List Workshop. IUCN Species Survival Commission Shark Specialist Group. Newbury, UK. x + 78p.

IRD, 2014. Rapport synthétique des résultats préliminaires des marquages acoustiques des requins tigre et bouledogue, à partir des données obtenues de décembre 2011 à septembre 2013, dans le cadre du programme CHARC. 2p.

Werry J.M., Lee S.Y., Lemckert C.J., Otway N.M., 2012. Natural or Artificial? Habitat-Use by the Bull Shark, Carcharhinus leucas. PLoS ONE, 7, 11, 17 p.

Werry J.M., 2010. Habitat ecology of the bull shark, Carcharhinus leucas, on urban coasts in eastern Queensland, Australia. Mémoire de thèse : Philosophie. Griffith University Gold Coast campus, 210 p.

Tillett B.J., Meekan M.G., Field I.C., Thorburn D.C., Ovenden J.R., 2012. Evidence for reproductive philopatry in the bull shark Carcharhinus leucas. Journal of Fish Biology, 80 (6). 2140 – 2158 p