Réserve marine de La Réunion et facteur humain.
De la Réserve au socio-système.
 
La Réserve Marine de La Réunion, instituée par décret en 2007, s’étend sur 40 km, du Cap La Houssaye de St Paul à la Roche aux Oiseaux à l’Étang Salé. Elle comporte 5 zones de sanctuaires, qui sont des zones de protection intégrale.

Il existe deux réserves marines sur l’ile : la seconde se situe à Sainte Rose, dans l’est de l’ile. La Réserve marine de l’ouest qui nous intéresse ici s’intègre à un milieu littoral urbanisé et utilisé par de nombreuses catégories d’usagers professionnels et non-professionnels. C’est un milieu fortement anthropisé.

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Cette Réserve, lors de sa création, n’a pas oublié de penser le facteur humain, c’est sa mise en application qui fait débat, notamment depuis le début de la crise requin.

En poussant un peu la recherche documentaire, on constate qu’elle est la première de sa catégorie à avoir étudié les paramètres socio-économiques du milieu qu’elle a pour objectif de restaurer.  Au delà du point zéro écologique, un point zéro socio-économique fut réfléchi. C’est là encore suffisamment novateur pour être souligné. À l’heure actuelle au niveau européen ou mondial, rares sont les espaces protégés ayant élaboré une telle palette d’indicateurs d’acceptabilité sociale, de fréquentation humaine du milieu, etc. Ces indicateurs permettent de mesurer l’impact des usages, de les évaluer, et de leur permettre d’évoluer sans pénaliser les différentes catégories d’usagers. De la bonne acceptabilité de la réglementation et des zonages dépendent directement leur respect et l’atteinte des objectifs de restauration de l’état des espaces lagunaires et coralliens.

Avec la problématique requin et la crise qui l’accompagne, dès fin 2011, cette acceptabilité est de nouveau mise à l’épreuve par une catégorie d’usages jusque là en dehors des conflits : les activités nautiques de glisse. D’ailleurs, le point 1 socio-économique prévu pour 2014 devrait nous en apprendre un peu plus sur ce changement radical de perception.

– À lire : la thèse d’A. Thomassin : « Des réserves sous réserve » – Acceptation sociale des Aires Marines Protégées – L’exemple de la région sud-ouest de l’océan Indien. Et Élaboration d’un protocole de suivi de la fréquentation au sein de la Réserve naturelle marine de La Réunion, France, océan Indien, revue Vertigo, volume 13 Numéro 1, avril 2013.

Nous sommes arrivés dans le cadre de la crise requins à La Réunion en 2013, et nos premières approches de la Réserve marine réunionnaises se sont faites à travers le prisme de cette crise, et donc des conflits y étant inhérents.
Notre opinion énoncée en mai dernier a toujours été et est toujours la suivante : « les zones urbanisées, et actives à l’année qui plus est, sont fatalement celles qui impactent les barrières naturelles, polluent et affectent directement les écosystèmes locaux. Vu l’état du littoral marin Ouest, la légitimité de la réserve y reste incontestable. L’idée est de trouver des solutions préservant la réserve, les requins (il ne s’agit pas ici que de deux espèces impliquées dans la problématique réunionnaise), et les activités nautiques, de concert. ».

N’en déplaise aux uns ou aux autres, il faut vivre avec son temps. L’époque où seul le facteur humain comptait est révolue. Elle n’a d’ailleurs jamais existé : nous avons toujours du faire avec l’environnement : lutter contre, le construire, s’en protéger, l’aménager, le rendre praticable, le sécuriser, et le préserver (protéger les ressources n’est pas une mode nouvelle, c’est un impératif avec lequel l’humain compose depuis le commencement)….. L’époque de la deep écologie et des fantasmes de nature vierge épargnée des griffes des vilains petits monstres d’humains que nous sommes aux yeux d’une écologie aussi culpabilisante qu’idéologique est également en passe de s’essouffler…

 

Un conflit qui demande des réponses, et non pas la disparition de la Réserve.

Le contexte : les récents accidents (3 dernières années) ont eu lieu dans les périmètres de la Réserve marine : on se retrouve avec une capacité et un périmètre de gestion de la problématique différente entre les communes de l’Ouest et celles du Sud ou de l’Est. On se retrouve également au cœur d’un conflit d’usages du territoire bien antérieur à la crise requins, prenant racine à minima durant l’élaboration du Parc Marin qui précédait cette dernière.

Vu « de loin » (c’est à dire par le prisme médiatique ou des réseaux sociaux), le conflit relatif à la Réserve Marine semble opposer les écologistes et les scientifiques d’un coté, aux surfeurs et pécheurs (en particulier chasseurs sous-marins), de l’autre.

À l’heure de la nécessité réelle, et constatée tant scientifiquement qu’empiriquement, de protéger les espaces marins, qu’ils soient côtiers ou de haute mer, ce conflit ne peut qu’interpeller ceux qui se sentent concernés par la mer et par la préservation de l’environnement, mais pas seulement. Il interpelle aussi tous ceux qui se sentent exclus lors des processus de protection d’une nature qu’ils ont toujours utilisée, qu’ils se sont toujours appropriée, y compris émotionnellement. Ceux qui se sentent spoliés.

Il nous interpelle, à notre sens, non pas pour nous demander « de défendre » ou « d’accuser » les opinions et actions des uns et des autres, mais pour nous signifier que le fruit d’une nouvelle écologie est mûr et que nous pouvons maintenant le cueillir.
Cette nouvelle écologie nous parle depuis quelques temps maintenant d’intégrer les facteurs socio-économiques aux facteurs écologiques lors de la protection de zones anthropisées et sujettes à différents usages sociétaux. Elle nous apprend de nouveaux mots, tels que « sociosystèmes« , ou « anthroposysthèmes« . À cet égard, la Réserve marine de l’ouest de La Réunion est un projet-pilote extrêmement intéressant.

Dans une démarche de meilleur compréhension de la crise requin et du conflit relatif la Réserve, nous avons rencontré et entendu différentes parties prenantes associatives et institutionnelles.

Voici ici quelques extraits du document produit dans ce cadre, et espérant permettre une meilleure appréhension de ces reproches qui sont faites envers la Réserve Marine de La Réunion.

Tout d’abord, il faut savoir que la plupart des différentes catégories d’acteurs impliqués aujourd’hui dans la problématique requin, institutionnels, politiques et associatifs, l’étaient déjà lors sa création. Ils ont déjà traversé des périodes de conflits d’usages, et d’autres sont encore en cours de traitement. Les nouveaux venus de la crise requin, sont l’acteur « protection animale » et l’acteur « internautes » via le réseau social « Facebook ».
Des concertations furent engagées à l’époque de sa création afin de définir la réglementation et le zonage en impliquant les différentes catégories d’usagers. Elles ont été considérées par la suite comme de « la poudre aux yeux » : les professionnels ne se sont sentis ni écoutés ni entendus malgré l’importance de leur expérience.

La tendance qui domine largement est la suivante : l’existence de la Réserve en tant que telle et sa nécessité ne sont pas remises en question, et sont soutenues par l’écrasante majorité des acteurs concernés. En revanche, sa gestion interne, les processus de concertations jugés comme ayant été négligés et le manque de transparence provoquent un rejet de ces acteurs. Ainsi on entend revenir les reproches suivants :

– diverses sources sollicitées à l’occasion de la création de la Réserve Marine, parlent de fonds qui auraient du être alloués aux communes afin de traiter la qualité des eaux déversées dans la Réserve, et qui ne l’ont pas été, ce qui renvoie directement les interlocuteurs au sentiment de magouilles internes.

– Les épisodes de pollution ayant occasionné des dégâts sur les coraux, et visibles des usagers, n’ont jamais fait l’objet de poursuites ou de plaintes émanant de la réserve. Parallèlement, de petits braconniers se sont vus condamnés d’une manière souvent jugée très dure.

– Pour les communes de l’Ouest (de St Paul à Etang Salé), c’est en grande partie de l’AMP dont dépend aujourd’hui la mise en place de mesures de réduction du risque requin, létales comme non-létales. Pourtant, personne parmi les acteurs de la crise requin consultés ne demande la suppression ou la réduction de la Réserve Marine : il s’agit d’aménagement de la réglementation sur des points techniques précis relatifs aux projets de sécurisation proposés.

Deux facteurs sont principalement imputés à la réserve et reviennent régulièrement dans les hypothèses quant à la fréquentation jugée inhabituelle de la zone par les requins tigres et bouledogues.

1 = les zonages ont réduit la présence de chasseurs sous marins et d’activité humaine en générale sur certaines zones clés. Ces présences sont jugées par les pécheurs et les chasseurs comme dissuasives. Si l’action de tirer un poisson peut attirer le requin, la réaction du chasseur qui va « piquer » le requin pour l’éloigner est enregistrée par le requin, « qu’on ne reverra pas deux fois, c’est lorsqu’on le voit 2, 3 fois, qu’on commence à se dire qu’on a affaire à un requin qui n’a plus peur de l’homme ». De même, le bruit occasionné par la présence d’activités humaine est susceptible de tenir les requins à l’écart des zones fréquentées.

2 = augmentation des quantités de poisson et « débordement » hors des zones coralliennes. Cette attraction cumulée à un niveau faible de « répulsion » liée à la présence humaine est une hypothèse qui revient au sein de nombreux publics d’interlocuteurs. Par exemple, l’un des éco-gardes nous expliquait que le nombre de pêcheurs actifs avait fortement diminué. Il citait l’exemple d’une « flotte de pêche à la sardine » qui oeuvrait à St Gilles. Selon lui,  cette flotte qui a disparu observait souvent des requins tôt le matin dans les bancs de poissons visés. Ces mêmes bancs de poissons ne sont désormais plus pêchés, et constituraient une source d’attraction probable.
Du coté de certaines associations de protection du milieu marin, on impute l’ancien faible taux d’observation de grands requins côtiers à l’absence de proies en abondance suffisante. Cependant, cela revient à dire que ces proies sont revenues en nombre suffisant, ce qui est nié par la Réserve elle-même, qui juge l’augmentation de biomasse très faible. Cela est également nié par les mêmes associations lorsque l’effet « attractif » lié à la présence de nourriture plus abondante aux abords de la Réserve est évoqué comme explication par les pécheurs, chasseurs sous-marins ou non. Quoi qu’il en soit, « le faible taux d’observation » antérieur est une information toute relative. Les pécheurs professionnels ne parlent pas d’une augmentation du nombre de requins en général, mais d’une présence plus accrue d’un type de requin bien particulier et d’un renouvellement important de ses juvéniles : le bouledogue. Tandis qu’ils pointent du doigt la raréfaction des requins de récif.

Quoi qu’il en soit, la Réserve Marine était précédée du Parc Marin, et avant lui, une zone interdite à la pêche existait déjà entre St Paul et St Gilles. Ainsi cela fait plus de 20 ans que les requins auraient donc pu y trouver un lieu de prédation et de tranquillité relative.

– Lorsque la Réserve se retrouve en position (supposée) de ralentissement de la mise en oeuvre des dispositifs permettant la sécurisation directe des usagers, ou leur prise en charge post-attaque, elle devient une zone de « non-droit à la vie » pour ces usagers, ce qui n’est pas acceptable, même si chacun considère aujourd’hui que protéger les récifs est important.

Je précise que les éléments présentés ci-dessus sont la retranscription des avis recueillis à droite et à gauche parmi les acteurs du conflit. Il ne s’agit pas d’avis personnels, puisque pour faire ce travail, j’ai du m’émanciper de tout parti pris et mettre au placard mes propres certitudes.

Les gens qui sentent leur droit à la vie bafoué, accusent directement les gestionnaires de la Réserve, son conseil scientifique, son conseil d’administration, et par voie de fait, l’Etat à travers la Préfecture. Beaucoup de personnes commencent à lever la voix, arguant que la Réserve, qu’ils ont largement soutenue à sa création, n’existe plus pour eux. Certains ont menacé d’aller y poser des pièges flottants, d’autres de détruire les points les plus importants comme les récifs frangeants. C’est une façon de dire qu’ils sont prêt à détruire leur propre patrimoine, puisque sa protection se fait aux dépends de leurs propres droits => lorsqu’il n’y aura plus rien à protéger, que les gestionnaires perdront leurs postes car n’ayant pas pu assurer la protection du milieu, alors, selon cette « logique du désespoir » peut-être les choses changeront-elles.

Capture d’écran faite sur un profil Facebook suite à l’attaque de novembre 2013.

Pour résumer, la Réserve marine est majoritairement mise en cause sur les deux points suivants :

–       sa gestion « délocalisée » et le mépris de la parole des locaux ;

–       les modalités d’usages du territoire qu’elle couvre : zonage en particulier.

On comprend, en écoutant ces différents acteurs, que la Réserve marine en tant que territoire nécessitant une protection, n’est pas remise en cause. C’est sa gestion qui est pointée du doigt, il semble que l’incompréhension et la déception aient succédé aux premiers engouements. Les engagements n’ont pas tous été tenus selon de nombreuses catégories d’usagers. La communication autour de la problématique requin (comprendre, les réponses aux questionnements sur les rôles possibles de la réserve) ne sont pas assez claires, parfois contradictoires pour le public des usagers, et l’information n’est pas assez facile d’accès. De plus, le public a le sentiment que la réglementation de la Réserve bloque certains projets de protection dans le cadre du risque requin, qu’ils soient létaux ou non. C’est du moins ce qu’il ressort.

Ce qu’il ressort des rdv auxquels j’ai pu assisté, est que la méconnaissance du fonctionnement de la Réserve marine, et le flou artistique qui entoure les processus relatif à sa réglementation (autorisations, modifications, mise en oeuvre sur le terrain, etc) occasionne de nombreuses incompréhensions. Pouvoir fournir cette information est un objectif intéressant à se fixer, mais qui demande un travail titanesque.

 

Une médiation porteuse d’espoirs.

On pourrait penser que la mesure des facteurs socio-économiques, la mise en place des indicateurs d’acceptabilité et la prise en compte de l’avis des usagers coulent de source lors de la création de n’importe quel espace protégé situé sur un territoire habité. Or il n’en est rien dans bien des cas. Cela demande des postes et des budgets supplémentaires, c’est relativement nouveau, en particulier pour les espaces marins, et l’on dispose de peu de connaissances ou de modèles concrets pour mesurer l’efficacité de ces outils. Les impératifs administratifs et les balbutiements politiques en terme de démocratie participative sont une machine qui demande encore un peu d’huile avant de tourner à plein régime. En gros, beaucoup reste à faire, à tester, à analyser, corriger, optimiser. Inévitablement, des erreurs se produisent, et ont vocation à être corrigées, à nous fournir les enseignements qui nous manquent. Faire cohabiter la nature et la société est un exercice aussi nouveau que délicat, d’autant plus à une époque et dans une société ou tout doit aller très vite, parfois plus vite que ce que le milieu dont elle participe peut fournir en terme de réponses à une action humaine. Concilier le développement durable, les études, ET la démocratie à la montre humaine est une nouvelle prouesse largement sous-estimée par ses principaux bénéficiaires (que nous sommes, veinards d’occidentaux). Mais nous en avons de la chance : l’Europe, la France, ont à disposition des institutions spécialisées en aide à la décision, en démocratie participative, en concertation et en dialogue territorial. D’ailleurs, je suis interloquée de ne pas voir les professionnels de la concertation se bousculer au portillon de ce conflit, véritable cas d’école et vecteur de bien des enseignements pour l’avenir.

En effet, dans le cas présent il reste beaucoup à reprendre et à améliorer en terme de concertation. Or, la Réserve a justement fait venir un médiateur en juin 2013 afin de diagnostiquer les différents conflits d’usages et les possibilités de médiations. Nous saurons en février 2014, date de réunion du comité consultatif de la Réserve, si l’initiative est prolongée. Nous avons dans l’idée (idée d’ores et déjà suggérée) d intégrer à cette concertation autour des usages, des représentants de la tranche d’âge 15-20 ans.
Voici son premier rapport : Synthèse entretiens.

L’opinion publique d’aujourd’hui se construit en grande partie (et bien malheureusement) de manière virtuelle : réseaux sociaux, télévision, journaux web… Nous pensons qu’il est utopiste de penser qu’un sentier sous-marin encadré par des animateurs ou même la possibilité de se rendre dans les bureaux de la Réserve pour y solliciter un entretien et obtenir certaines réponses soient suffisants en terme de communication grand public. Si nous caricaturons la situation, c’est pour que chacun visualise bien que les mises en cause de la Réserve sont peut-être le fruit pourri d’un fossé entre ce qu’elle a la possibilité d’être, ce qu’elle est, et la manière dont elle est perçue, que cette perception soit positive ou négative.

S’il est indubitable qu’un long chemin reste encore à faire pour faire de la Réserve marine de La Réunion une zone intégrant parfaitement usages socio-économiques, restauration de l’environnement, impératifs de sécurisation des usagers et communication transparente… En revanche elle dispose d’une base, d’un cadre et d’outils conceptuels novateurs permettant d’en prendre le chemin.

Certains usagers ne se sont pas sentis écoutés lors de sa création, et d’autres se sentent aujourd’hui stigmatisés à travers les conflits politiques et les attitudes de certaines ONGE. Cela les rend otages d’une situation abracadabresque qui les placent entre deux feux : celui du terrain qu’ils pratiquent et aiment depuis toujours, et celui des projecteurs médiatiques largement « sublimés » par les communications hâtives d’associations de défense de l’environnement.

Heureusement, la société civile et les associations d’usagers en particulier, ont la possibilité de prendre pleinement connaissance de ces spécificités, de ces outils, de ces études sociologiques et des engagements qui y sont liés, afin de pouvoir participer à cet effort d’intégration des facteurs humains, afin d’optimiser ce qui fut initié, ou tout simplement, afin de veiller à ce que cela ne retombe pas dans le champs de la déclaration écrite.

Pourquoi pas la création d’un conseil scientifique socio-économique de la Réserve marine ?