Requins de l’océan Indien et de La Réunion
Synthèse : Aymeric Bein

Introduction

L’océan Indien (figure 1) est un vaste océan atteignant 7450 mètres de profondeur pour une moyenne de 4200 mètres. Cette région du monde présente de nombreux « hotspots »[1] de biodiversité, particulièrement au Sud-Ouest dans la région de Madagascar et au Nord-Est dans la région des Philippines, de la Thaïlande, de la Malaisie.

Cette synthèse portera principalement sur le Sud-Ouest de l’océan Indien, avec un focus particulier sur l’Île de La Réunion.

Zone océan Indien
Zone océan Indien

I.     Diversité des requins et localisation

a.     A l‘échelle de l’océan Indien

Le Sud-Ouest de l’océan Indien est riche en espèces de tout genre. Les conditions biotiques et abiotiques ont permis le développement d’écosystèmes particulièrement riches caractérisant cette zone de « hotspot ». Elle présente 116 espèces de requins et 72 espèces de raies. Les nombres d’espèces selon les régions du Sud-Ouest de l’océan Indien sont résumés dans le tableau 1. Sur ces cent quatre vingt huit espèces, quinze espèces sont endémiques de cette région (Kiszka et al., 2009).

2oi

Tableau 1 : Nombre d’espèces de requins et de raies présentes dans le Sud-Ouest de l’océan indien selon différentes régions (Kiszka et al., 2009).

 

b.    Le cas de La Réunion

Comme on peut le voir dans le tableau 1, on retrouve autour de l’île 42 espèces de requins et neuf espèces de raies. Ces différentes espèces sont détaillées dans l’annexe 1. Une espèce supplémentaire, le requin cuivré Carcharhinus brachuryus (Günther, 1870), a peut-être été observée par le programme CHARC lors de ses campagnes de marquage (données IRD – Programme CHARC, 2012). Cette observation est cependant à confirmer par un spécialiste des requins. On retrouve sur l’île de nombreux requins-marteaux, particulièrement le requin-marteau halicorne Sphyrna lewini (Griffith et Hamilton Smith, 1834) en fin d’hiver austral (septembre, octobre) au niveau du grand tombant de la Pointe au sel (Ouest de l’île). Cette zone est considérée comme une route migratoire et ces requins se regroupent pendant quelques jours seulement par dizaines (Kiszka et al., 2009).

On retrouve également les requins-tigres Galeocerdo cuvier (Müller et Henle, 1837) et bouledogues Carcharhinus leucas (Müller & Henle, 1839) tristement rendus célèbres par les accidents ayant eu lieu entre 2011 et 2013 notamment. Mais d’autres espèces plus discrètes ont élu domicile sur l’île. Des sites d’agrégation existaient également auparavant mais ont disparu au fil des ans. Ainsi, il existait une fosse aux requins à Saint-Pierre (requins gris de récif Carcharhinus amblyrhynchos (Bleeker, 1856) et un site à la Grande ravine (requin pointe blanche de récif – Carcharhinus albimarginatus (Rüppell, 1837)). Malheureusement, on ne retrouve plus aujourd’hui ces requins en grand nombre du fait de captures intentionnelles. (Kiszka et al., 2009). Les fonds réunionnais hébergent également les requins « zépines », qui appartiennent au genre Squalus, Centrophorus, ou encore Cirrhigaleus.

Plus récemment (2012-2013), des espèces de fonds : chimères, ainsi que des requins savate (sortes de « chiens de mer » appartenant au genre Deania)ont été découvertes. Deux espèces de requins savates ont été découvertes dans les eaux réunionnaises : le requin savate lutin (Deania profundorum) et le requin savate à long nez (Deania quadrispinosum).

 

II.     Protection des requin

a.     A l’échelle de l’océan Indien

Depuis de nombreuses années, on retrouve deux espèces de requins protégées internationalement par la CITES (Convention on International Trade in Endangered Species) : le requin-baleine Rhyncodon typus (Smith, 1828) et le requin blanc Carcharodon carcharias (Linnaeus, 1758). La CITES ou Convention de Washington est une convention ratifiée en 1973 qui a pour but de contrôler le commerce international des espèces menacées. Mais depuis 2013, de nouvelles espèces sont venues s’y ajouter (le requin longimane Carcharhinus longimanus (Poey, 1861), trois espèces de requins-marteaux Sphyrna mokarran (Rüppell, 1837), Sphyrna zygaena (Linnaeus, 1758) et Sphyrna lewini (Griffith & Smith, 1834) et le requin-taupe commun Lamna nasus (Bonnaterre, 1788) (données CITES, 2013)). Toutes ces espèces sont inscrites à l’annexe II, ainsi leur commerce est contrôlé et nécessite un permis d’exportation. Un permis d’importation n’est pas obligatoire sauf si la législation du pays l’exige.

La CTOI (Commission des Thons de l’Océan Indien) crée en 1996 est également un organisme visant a quantifier les pêcheries de thons, espadons et requins et de protéger ces derniers ainsi que les cétacés dans certains cas. Ainsi, les pêcheries qui sont inscrites à la CTOI ont l’obligation de déclarer leurs prises et doivent suivre des règles concernant le finning afin de limiter les abus. Seul les requins renards (famille des Alopiidae) sont interdits à la pêche. En effet, la conservation à bord de ces espèces (Alopias sp.) est interdite, les individus pêchés accidentellement doivent donc être rejetés.

 

b.    Le cas de La Réunion

À La Réunion, aucune protection officielle relative aux requins en particulier n’existe. Cependant, suite aux dangers liés à la présence potentielle de ciguatera[2], la commercialisation de requins tels que le requin-bouledogue et le requin-tigre a été interdite. Ceci n’empêche donc pas la capture de ces derniers, mais il y a de fortes chances pour que celle-ci soit plus limitée.

Egalement, la réserve marine de la Réunion, a pu de façon indirecte protéger les populations de requins. Aucune étude scientifique ne permet de l’attester mais des espèces récifales ont pu éventuellement être protégées de cette façon même si l’on observe que les requins de récifs ont largement disparus des côtes réunionnaises ces dernières années.

Enfin la Réunion étant un Département d’Outre-Mer, l’île fait partie de l’Europe. Elle est donc soumise aux lois européennes. Le conseil des ministres européen a validé le 6 juin 2013, une réglementation adoptée en novembre 2012 par le parlement européen interdisant la pratique du finning à bord des bateaux européens et dans les eaux de l’Union Européenne. La pratique du finning à la Réunion est donc interdite à bord des navires, y compris étrangers. Quoi qu’il en soit, la pratique du finning est interdite à La Réunion depuis 2004.

 

III.     La pêche

a.     A l’échelle de l’océan Indien

Les requins sont largement pêchés à l’échelle de l’océan Indien. Que ce soit en captures accessoires (dites aussi captures accidentelles) ou par des pêches ciblées (ex. : requin peau bleue Prionace glauca (Cantor, 1849), CTOI, 2012). Un exemple de pêcherie « accidentelle » est celui de la flotte taïwanaise ciblant la pêche au thon. Cette pêcherie, bien que visant uniquement les thons, est confrontée à des prises accessoires telles que des cétacés, tortues et requins. Dans cette pêcherie, les requins concernent 4,4% des captures (le requin peau bleue représente 2% à lui tout seul). On peut espérer qu’avec l’inscription de nouvelles espèces à la CITES, celles-ci seront plus souvent relâchées qu’auparavant. Car en effet, la pêcherie capture également des requins soyeux Carcharhinus falciformis (Müller & Henle, 1839), des requins mako Isurus oxyrinchus (Rafinesque, 1810), des requins-renards Alopias superciliosus (Lowe, 1840) et Alopias vulpinus (Bonnaterre, 1788), des requins longimanes Carcharhinus longimanus, des requins blancs (protégés, soixante quatre individus capturés sur toute l’étude et seulement 61% relâchés), des requins-marteaux Sphyrna lewini et Sphyrna zygaena et des requins-tigres. Enfin, sur cette pêcherie, 54,2% des requins capturés sont rejetés à la mer, mais l’étude ne précise pas s’ils sont rejetés vivants ou morts (Huang & Liu, 2010).

De façon plus générale, sur tout l’océan Indien, toutes captures déclarées confondues, la CTOI déclare en 2012 des chiffres pour plusieurs espèces : 9540 tonnes de requins peau bleue ont été pêchées en 2011, 388 tonnes de requins longimanes, 120 tonnes de Sphyrna lewini, 1361 tonnes de requins-taupes bleus, 3353 tonnes de requins soyeux, 330 tonnes de requins-renards à gros yeux et 10 tonnes de requins-renards pélagiques. La mortalité des requins peau bleue aux rivages est de 24,7% et de 30,6% pour les océaniques (Coelho et al. 2011 in CTOI, 2012).

 

b.    Le cas de La Réunion

Les requins y sont occasionnellement capturés et peuvent être consommés ou non. Les pêcheries palangrières réunionnaises capturent en majorité du requin peau bleue (75 à 88 % du volume annuel de captures entre 1994 et 2000), suivies du requin océanique, du requin-taupe bleu et de deux espèces de requins-marteaux (Sphyrna lewini et S. zygaena) (CTOI, 2007 in Kiszka et al., 2009 ; René et al., 1998). Pour information, la déprédation par les requins dans ces pêcheries réunionnaises, notamment la pêcherie professionnelle palangrière à l’espadon, est à hauteur de 2,2% (René et al., 1998). Une étude a montré qu’une espèce de requin (requin zépine, Squalus megalops (Macleay, 1881)) pêchée profondément à la vire ligne électrique n’avait subit qu’une faible baisse de biomasse en 11 ans (6%). En effet, cette espèce n’est pas commercialisé et est donc systématiquement relâchée (Fleury et al., 2011 ; Fleury et al., 2012). Concernant les autres espèces de requins, nous ne connaissons pas leur évolution aux fils des années. Bien évidemment, les données relatives à la pêche sont issues des délcarations disponibles, et ne représentent qu’une part de la réalité.

 

IV.     La toxicité des requins de cette région

L’analyse de la chair de requin et du foie ont révélé deux toxines appelées « carchatoxines » (Boisier et al., 1995; Yasumoto, 1998 in Hamilton et al., 2001). Les requins, et spécialement la famille des carcharhinidae, causent la ciguatera par l’intermédiaire d’autres toxines que la carchatoxine. (Boisier et al., 1995 in Hamilton et al., 2001).
Les métaux lourds sont également présents dans les tissus et huiles des requins péchés dans l’océan Indien.

 

a.     A l’échelle de l’océan Indien

La ciguatera a été décrite la première fois dans l’océan Indien à Maurice (Halstead and Cox, 1973 in Quod & Turquet, 1995). Hormis pour les fais historiques, peu d’informations sont disponibles sur cette maladie concernant les îles de cette région (Madagascar, Comores, Seychelles, Maurice et Rodrigues). Un exemple de fait historique est ce qui s’est déroulé sur la côte Est de Madagascar. En 1993, une intoxication sévère due à la consommation d’un requin-bouledogue a entrainé l’empoisonnement de 200 à 500 personnes. 20 à 30% des personnes intoxiquées sont décédées suite à cela. (Habermehl et al., 1994 in Quod & Turquet, 1995 ; Boisier et al., 1995). Il ne s’agissait pourtant pas de la ciguatera mais des carchatoxines A et B (Boisier et al., 1995). À La Réunion et à Maurice, des régulations existent depuis longtemps pour interdire la vente et/ou l’import d’espèces considérées comme pouvant être toxiques. Cependant, la ciguatera touche toujours ces régions (Quod & Turquet, 1995).

 

b.    Le cas de La Réunion

La ciguatera représente à La Réunion 78,6% des empoisonnements par les poissons. 34 espèces ont été identifiées lors d’empoisonnements par la ciguatera dans l’archipel des Mascareignes. La majorité des cas d’intoxications aux ciguatoxines est issue de poissons d’importation. Les requins quant à eux sont porteurs de ce que l’on appelle la carchatoxine, une toxine endémique de Madagascar sur laquelle on ne dispose que de très peu d’informations. Une intoxication ciguatérique « atypique » fut observée après consommation de chair de requin ont cependant été observées à Saint-Paul en 1990 (Le Bouquin et al., 1993 in Quod & Turquet, 1995). A l’époque, on ne disposait pas de modèle permettant d’identifier la carchatoxine, donc on ne sait pas si ce cas en était un ou non.

Un programme visant a étudier le risque ciguatera a été mis en place suite aux nombreux accidents survenus sur l’île. Le but est de déterminer si il y a un risque à la consommation des requins tigres et bouledogues afin de rouvrir éventuellement la pêche et la vente de ces espèces. Les autres polluants sont également recherchés dans le cadre de cette étude (mercure, PCBs…). Pour le moment quelques individus ont été prélevés et les résultats ne sont pas encore connus.

 

V.     L’avenir des requins de cette région

 

a.     A l’échelle de l’océan Indien

On observe au niveau de Ningaloo Reef, sur la côte occidentale de l’Australie, un déclin des populations de requins-baleines (Bradshaw et al., 2008 ; Rowat, 2007). En effet, l’abondance de ces requins a diminué de 40% ces 10 dernières années et leur taille a diminué de deux mètres (Bradshaw et al., 2008). Cela peux éventuellement s’expliquer par une forte pêche en Inde afin d’alimenter le marché taïwanais pour le tofu de requin-baleine  (279 requins pêchés en 1999 et 160 en 2000, Hanfee, 2001 in Rowat, 2007). Cette pêche est dorénavant arrêtée puisque l’espèce est protégée. Ce problème ne concerne pas uniquement Ningaloo Reef puisque même si cette étude montre un déclin des populations de cette région (l’étude y a été faite), les requins-baleines étant des requins migrateurs, ce déclin des populations s’effectue par conséquence à une échelle largement plus importante (Bradshaw et al., 2008).

Par ailleurs, White et Kyne informent en 2010 que 21% des chondrichthyens de la zone indo-australienne sont classés comme « en danger critique d’extinction », « en danger » ou « vulnérable » selon les critères de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).

 

b.    Le cas de La Réunion

Concernant La Réunion, il n’y a pas de chiffres disponibles sur l’état des populations et l’évolution au fil des ans. Si une augmentation du nombre d’individus des espèces de requins-bouledogues et de requins-tigres est possible, et observée par les pécheurs, en raison de l’arrêt de leur pêche, aucune donnée scientifique ne vient encore le confirmer. Le programme CHARC évoque une population dense sur la zone de Saint-Gilles-les-Bains. Les pécheurs indiquent des observations plus fréquentes de certaines espèces, mais d’autres, comme certaines populations de requins de récif, semblent quasiment inexistantes (entre 2 et 4 observations d’individus de type requin corail (Triaenodon obesus) entre janvier 2013 et mai 2013 sur Saint-Leu et Saint-Gilles, soit une période de 5 mois). Des requins-baleines sont observés épisodiquement et rarement au large (une observation la deuxième quinzaine du mois d’avril 2013). Les seules indications disponibles sont celles fournies par les observations qui sont remontées au CROSS Réunion. Ces observations ne précisent que rarement l’espèce observée. À partir de janvier 2014, les requins capturés par le programme Cap Requin viendront également alimenter la base de donnée réunionnaise.

Un véritable travail d’études de quantifications et de surveillance des espèces de requins présentes reste encore à faire sur l’ensemble de l’île afin d’avoir une meilleure appréhension des populations.

Télécharger la version pdf : Synthe se – La Reunion et l’Ocean Indien

Plus d’infos, de synthèses et de résumés : rendez-vous sur la page « Savoirs et sciences sur les requins ».

 

Bibliographie

Boisier P., Ranaivoson G., Rasolofonirina N., Andriamahefazafy B., Roux J., Chanteau S.,  Satake M., Yasumoto T., 1995. Fatal Mass Poisoning In Madagascar following ingestion of shark (Carcharhinus leucas) : Clinical and epidemiological aspects and isolation of toxins. Toxicon, 33, 1359-1364 p.
Bradshaw C.J.A., Fitzpatrick B.M, Steinberg C.C., Brook B.W., Meekan M.G., 2008. Decline in whale shark size and abundance at Ningaloo Reef over the past decade: The world’s largest fish is getting smaller. Biological conservation, 141, 1894-1905 p.
Rowat D., 2007. Occurrence of whale shark (Rhincodon typus) in the Indian Ocean : A case for regional conservation. Fisheries research, 84, 96-101 p.
CTOI, 2012. Rapport de la quinzième session du Comité scientifique de la CTOI. Mahé, Seychelles, 306 p.
Hamilton B., Hurbungs M., Vernoux J.P., Jones A., Lewis R.J., 2002. Isolation and characterisation of Indian Ocean ciguatoxin. Toxicon, 40, 685-693 p.
Huang H-W., Liu K-M., 2010. Bycatch and discards by Taiwanese large-scale tuna longline fleets in the Indian Ocean. Fisheries Research, 106, 261-270 p.
Fleury P.G., Evano H., LE RU L., Aureche V., 2012. Synthèse de l’étude et des campagnes à la mer 2011 sur l’exploitation aux vire-lignes des espèces démersales profondes autour de La Réunion. Rapport Ifremer, 37 p.
Fleury P.G., Aureche V., LE RU L., 2011. Evolution des captures de poissons démersaux profonds, au vire-ligne électrique, dans l’ouest de La Réunion, entre 2000 et 2011. Rapport Ifremer, 46 p.
Kiszka J., Jamon A., Wickel J., 2009. Les requins dans les îles de l’océan Indien occidental – Biodiversité, distribution et interactions avec les activités humaines. 47 p.
Quod J.P., Turquet J., 1995. Ciguatera in Reunion Island (SW Indian Ocean) : Epidemiology and clinical patterns. Toxicon, 34, 779-785 p.
René F., Poisson F., Tessier E., 1998. Évolution de la pêcherie palangrière ciblant l’espadon (Xiphias gladius) à partir de La Réunion. Orstom, Paris. 287-312 p.
White W.T., Kyne P.M., 2010. The status  of chondrichthyan conservation in the Indo-Australian region. Journal of Fish Biology, 76, 2090-2117 p.

ANNEXES

Liste des espèces de requins observées à la Réunion

3oi


[1] Les « Hotspots » sont des points chauds de biodiversité, c’est-à-dire une zone biogéographique possédant une grande richesse de biodiversité

[2] La ciguatera est une forme d’intoxication alimentaire par les chairs de poissons contaminées par une microalgue des récifs coralliens. Cette intoxication peut entraîner de nombreuses perturbations sur les systèmes digestif, cardiovasculaires et nerveux, pouvant aller jusqu’à la mort.