Toxicité du requin ?
Synthèse réalisée par Aymeric Bein.

Les requins subissent aujourd’hui un fort déclin mondial dû à des pêches excessives servant principalement à alimenter le commerce d’ailerons de requins, de l’huile et d’autres dérivés. Souvent, seuls les ailerons sont prélevés pour le marché asiatique, et seul un cinquième de chaque aileron est utilisé pour la soupe. Or, le seul aspect écologique n’est pas concerné. Du point de vue sanitaire, de fortes concentrations de produits toxiques sont retrouvées chez les requins.

 

Quels sont les éléments toxiques retrouvés chez les requins ?

Ils sont nombreux. Une fois dans le milieu marin (généralement en raison de pollutions anthropiques), ces composés chimiques contaminent les animaux et sont stockés dans leur organisme. C’est ce qu’on appelle la bioaccumulation. Nombreuses sont les espèces impactées par ces composés toxiques. L’un des produits que l’on retrouve le plus souvent est le méthylmercure, un dérivé du mercure. Les requins accumulent de fortes concentrations de ce contaminant du fait de leur rôle de prédateurs supérieurs. C’est une neurotoxine hautement dangereuse pour l’homme. On retrouve également des neurotoxines de cyanobactéries, comme la BMAA, à de fortes concentrations, notamment dans les ailerons.

Il faut savoir que plus le requin est grand (donc âgé), plus les concentrations de métaux lourds et autres polluants sont importantes. L’industrie de la soupe d’ailerons de requins, qui recherche les ailerons les plus beaux et les plus gros, recherche donc également sans le savoir les ailerons les plus contaminés. Même les requins les plus jeunes sont déjà contaminés.

 

Quelles sont les espèces de requins contaminées ?

Quasiment toutes, et partout !

En effet, de nombreuses études ont montré que les requins sont contaminés partout dans le monde ; on retrouve les requins les plus connus tels que le requin peau bleue* (Prionace glauca), le requin-bouledogue (Carcharhinus leucas), le requin-marteau** (Sphyrnidae sp.) ou encore le requin-tigre*** (Galeocerdo cuvier), mais aussi des requins beaucoup moins connus. Nombre de ces requins étant utilisés pour la préparation de la soupe d’aileron de requin, la consommation de cette soupe présente de réels risques à l’instar de la consommation de viande de requin.

 

Quelles sont les solutions pour pallier à la toxicité ?

Pour purifier la viande de requin, on utilise parfois de la cystéine, une molécule qui, combinée au chlorure de sodium, diminue la quantité de mercure dans la viande de requin. Selon une étude, toutefois, cette technique retire moins de 50% du mercure dans le meilleur des cas. Les taux peuvent donc rester très élevés. En outre cette étude ne parle pas des ailerons, sur lesquels la cystéine serait encore moins efficace que sur les muscles.

Les conséquences sur la santé humaine.

Les contaminations au mercure ont déjà posé des problèmes de santé dans de nombreuses régions du monde. Les conséquences ont été de multiples et très sérieuses intoxications ainsi que des décès suite à l’ingestion des poissons. L’émergence de maladies neuro-dégénératives, par ailleurs, a un lien démontré avec la présence de cyanobactéries neurotoxiques qui, ingérées par l’homme, favorisent les maladies du cerveau telle la maladie d’Alzheimer. Plus grave et inquiétant encore, la mère requin transmet totalement ces toxines à sa progéniture. Les hommes et la plupart des requins partageant le même mode de reproduction (vivipare) bien qu’ils soient respectivement des mammifères et des chondrichtyens, il est fort possible qu’une mère humaine transmette les substances toxiques à son fœtus.

 

L’avis de Shark Citizen.

Nous l’avons donc vu, les analyses menées sur les produits à base de requin révèlent d’importants taux de contaminants. Leur consommation peut avoir des conséquences irréversibles sur la santé humaine comme des maladies neuro-dégénératives, et peut même affecter les embryons.

C’est donc une question de précaution sanitaire qui est en jeu dans ce contexte la consommation de requin – voire d’autres espèces de poissons, qui contiennent également des substances toxiques – et cette question est à considérer sérieusement.

Au delà du niveau purement écologique qui concerne la viabilité des populations de requins ciblées par la pêche ou prises accessoires, ce point de vue sanitaire et le principe de précautions nous soufflent de mettre un terme à cette consommation.

L’Europe peut jouer un rôle dans ce changement. Le 22 novembre 2012, le Parlement européen a ratifié un projet de loi de la Commission européenne qui interdit complètement le finning (la découpe des ailerons de requins) à bord des bateaux de pêche européens et dans les eaux européennes en forçant ces derniers à rapporter les requins avec leurs ailerons encore attachés. La loi met également un terme aux « permis spéciaux » qui jusqu’ici permettaient aux pêcheurs de pratiquer le finning sous certaines conditions. Nous pouvons donc espérer que le nombre d’ailerons collectés pour le marché de la soupe d’ailerons va se réduire significativement. Ce serait hautement bénéfique pour la stabilité de l’écosystème marin ainsi que pour les personnes qui consomment de cette soupe, pour des raisons de santé.

Nous sommes heureux que ce pas important ait été fait et remercions les personnes qui se sont impliquées dans la cause ainsi que les députés européens qui ont pris position de façon déterminée. Toutefois, il faudra du temps avant que les pratiques évoluent réellement, il est donc maintenant très important de surveiller la mise en œuvre de la décision européenne. La prochaine étape logique est désormais d’essayer d’obtenir l’interdiction du commerce des produits dérivés du requin identifiés comme nocifs en Europe.

 

Bibliographie

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